Antoinette Montaigne, Ancienne ministre de la Réconciliation nationale en Centrafrique
Justice, réconciliation nationale en Centrafrique, vivre-ensemble, laïcité. Voilà bien des thèmes qui interrogent aujourd’hui les Français, mais qui concernent aussi de nombreux pays. La Centrafrique sort difficilement d’une période de quasi-guerre civile et, à tout le moins, d’anarchie. La France est intervenue avec l’opération Sangaris et la communauté internationale avec le dispositif de la Minusca.
Antoinette Montaigne, ancienne ministre centrafricaine de la Réconciliation nationale, aujourd’hui à la tête de l’Académie de la paix, répond aux questions d’Opinion Internationale sur la situation centrafricaine. Entretien.
Où en est la Centrafrique du point de vue des communautés et du vivre ensemble ?
La Centrafrique se remet lentement mais sûrement de ses blessures liées à une crise particulièrement violente. Aujourd’hui, les communautés civiles réapprennent à vivre ensemble, c’est important de le dire. La crise avait créé une confusion entre les communautés et les groupes armés. Le processus de réconciliation que j’ai pu lancer en 2014 s’est attelé à cette question, c’était la clé de la sortie de la crise. En communiquant avec les uns et les autres, les communautés ont pris conscience qu’il s’agissait d’une crise politique mais qu’on voulait y associer une coloration confessionnelle pour créer un rideau de fumée. La véritable raison de la crise, c’est la course effrénée au pouvoir. Les communautés centrafricaines sont responsables et tolérantes. Nous avons une langue nationale, le sango, parlée sur tout le territoire et dans les pays voisins, fait rare en Afrique. Nous avons ainsi une richesse inestimable qui favorise le rapprochement entre les membres des différentes communautés.
Le pays est aujourd’hui revenu à l’ordre constitutionnel et les efforts sont faits dans ce sens. Il faut remercier la communauté internationale, notamment la mission des Nations unies pour la République Centrafricaine qui a été mise en place après la mission de l’Union africaine, la MISCA, qui a fait un travail remarquable mais diversement apprécié pour apaiser les passions qui avaient produit beaucoup de violences.
Le pays est en bonne voie mais il reste beaucoup à faire pour que les traumatismes subis puissent s’estomper. Il faut continuer à lutter contre la pauvreté, l’un des aspects de la crise a été la perte du patrimoine pillé, saccagé. Cette population est aujourd’hui démunie de tout. Certains n’ont pas encore à ce jour pu retourner vivre dans leurs maisons qui ont été détruites, brûlées ou pillées. Le bétail a été vendu, consommé. Il faudrait apporter à ces gens une réparation sur le plan socio-économique, pour que les personnes qui n’ont plus rien pour vivre puissent repartir sur de bonnes bases.
On dit que la crise centrafricaine a été et est encore un conflit religieux. Est-ce le cas ?
Nous n’avons pas eu de conflit religieux mais une mauvaise gouvernance et une prédation économique. L’Etat n’a pas été géré dans l’intérêt des populations, ni dans celui du développement du pays. Il y a eu une grande difficulté dans la prise en compte des besoins vitaux de la population, à commencer par l’éducation. La population régresse dans l’éducation par rapport aux générations post indépendance. Aujourd’hui, dans un pays dit francophone où tous sont supposés écrire et parler français, peu en sont vraiment capables. Nous constatons un recul dans la scolarisation. Les gens parlent un français populaire, on peut considérer que le taux d’alphabétisation est en dessous de 50%. Nous sommes plus dans la transmission orale que dans l’apprentissage scolaire.
La crise a empêché les élèves de passer dans de meilleures conditions les diplômes des années 2012/2013, 2013/2014, 2014/2015. Ces années « blanches » compliquent le système éducatif. Ainsi, il n’est désormais plus question de rattraper tous ces examens sur une année comme cela avait été envisagé mais de remettre les choses à plat.
La composition du nouveau pouvoir sorti des urnes répond-elle à des critères confessionnels ?
Je ne peux pas vous le dire car je n’ai pas pris part à la mise en place de ce gouvernement. Je peux vous dire que toutes les communautés sont représentées et que la Centrafrique est un pays laïc. Il est important de ne pas donner beaucoup d’espace à la question confessionnelle. Ce n’est pas parce que certains souhaitant accéder au pouvoir ont utilisé le prétexte confessionnel que l’Etat doit faire de même. La société centrafricaine serait perdante. Dignité, unité, travail, notre devise nationale, ne porte aucun prétexte religieux. Ce n’est pas faire preuve de dignité, ni d’unité que de voir les êtres humains à travers leurs religions. Cela n’apportera rien à la nation.
La réconciliation nationale, cela signifie quoi en RCA ?
Cela comporte plusieurs choses. Tout d’abord, constater l’échec des dialogues politiques dit inclusifs qui n’ont jamais inclus grand monde sauf l’élite politique. La gravité de la crise montre la faillite d’une élite politique centrafricaine. Par ailleurs, constater l’impunité politique et sociale qui forme le terreau de l’accès au pouvoir par la violence, des violences politico-sociales et de l’effondrement de l’Etat. Enfin, constater que ce processus de faillite politique a conduit à une violence généralisée sur fond d’effondrement de l’Etat et de l’ensemble des institutions. La réconciliation en République centrafricaine, c’est la prise de conscience de toutes ces dimensions afin d’y apporter une réponse durable.
Ainsi, de janvier à août 2014, en tant que ministre de la Réconciliation nationale j’ai proposé des consultations populaires à la base. Elles ont permis d’aller sur toute l’étendue du territoire centrafricain, soit dans les 79 sous-préfectures au plus près des populations, en dépit de l’occupation du territoire par les groupes armés, afin de consulter tous les Centrafricains. Cette action a été menée en 2015 après le forum de Brazzaville et avant le forum de Bangui. [Opinion Internationale et Lydie Nzengou, journaliste, avaient organisé le 28 mars 2014, à l’occasion de l’anniversaire de la mort du fondateur de la République, Boganda, une conférence à Bangui pour la réconciliation nationale. ndlr]. La stratégie de réconciliation que j’avais proposée en 2014 avait été doublement validée par les forces vices de la nation et par le Bureau politique du Secrétaire Général des Nations-Unies monsieur Ban Ki-Moon, ne s’arrête pas au forum national de Bangui. C’est une stratégie de réconciliation partagée par la population centrafricaine dans son ensemble. Elle ne peut être abandonnée. Le lancement de la Commission-Vérité-Justice- Réparation-Réconciliation doit intervenir rapidement.
Vérité, car ce qui s’est passé ne peut pas être oublié et doit être dit. Réparation, car ceux qui ont tout perdu ont besoin d’un coup de pouce pour recommencer à vivre. Une fois ces critères réunis, les gens seront plus disposés à se réconcilier durablement.
Où en est le processus de réconciliation ?
La réconciliation a permis le retour de l’ordre constitutionnel et l’élection dans les règles d’un nouveau président le 30 mars 2016. Nous avons une nouvelle Constitution. Les institutions nécessaires au fonctionnement du pays, prévues dans la Constitution, doivent être mises en place dans un délai de douze mois. Nous craignons que l’Etat n’y arrive pas car c’est un Etat exsangue avec des moyens limités. Sans une profonde volonté de réconciliation, ce sera difficile mais elle est la priorité du chef de l’Etat.
La France et la communauté internationale dans son ensemble occupent-elles trop ou pas assez de place en Centrafrique ?
La présence de la France dans un pays francophone n’est pas spécifique à la république centrafricaine.
La communauté internationale vient en solidarité au nom des Nations Unies dans les pays en difficulté. C’est comme un médecin, à vous de lui dire où vous avez mal. De mon point de vue, il n’y a rien de particulier à reprocher à la communauté internationale. Peut-être que les Centrafricains n’ont pas su saisir la main qui leur était tendue.
Vous allez à Beyrouth prochainement, pour quelle raison ?
J’ai été invitée au congrès de l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF) dont le thème est "construire les villes du vivre-ensemble", où je présenterai une communication. Je connais bien l’AIMF car ils s’étaient préoccupés de la situation en 2014 en Centrafrique.
En France, notre devise est "liberté, égalité, fraternité". Vous habitez à Bussy-Saint-Georges (77). Que pensez-vous du climat qui règne en France ?
La France a besoin de fraternité qui est l’autre nom du vivre-ensemble, c’est l’acte par lequel on ne rejette pas l’autre mais on lui tend la main pour le découvrir et partager avec lui. La question du vivre ensemble en France n’est pas malmenée que par les attentats, ça vient de très loin. Souvenez-vous de la Marche des Beurs pour l’égalité, il était déjà question d’un problème de fraternité, tout comme les émeutes des banlieues en 2005. Tous ces problèmes accumulés ont créé un mal être de la société française et cela depuis les années 1990. Nous n’avons pas assez prêté attention à ce qui s’est passé.
J’ai travaillé pendant longtemps sur ces questions, en tant que représentante du Défenseur des enfants pendant 11 ans. J’étais professionnelle de la protection de la jeunesse. J’ai géré les émeutes de 2005 en Seine-Saint-Denis, au parquet mineur en tant que chef du pôle d’accompagnement judiciaire et éducatif. C’était une période difficile mais les professionnels de la justice étaient de grande qualité et nous avons su éteindre l’incendie en le calmant. Pour autant, regrettons de ne pas avoir pris la mesure des émeutes de 2005. Ces évènements étaient annonciateurs de ce qui se passe aujourd’hui.
Madame la ministre, que faites-vous aujourd’hui ?
Je suis consultante sur les questions du vivre-ensemble. Avec la crise dans mon pays, j’ai pris conscience de la montée dangereuse de tous types de préjugés et de l’intolérance. En tant que ministre de la Réconciliation, je me suis rendue compte qu’il en faut peu pour que les sociétés basculent. Je souhaite que l’Afrique centrale, zone perturbée par tous types de conflits, puisse s’inscrire dans la démarche du vivre ensemble.
J’ai lancé une Académie de la paix en Centrafrique mais qui ambitionne d’aller dans d’autres pays pour parler de l’éducation à la paix. Je travaille notamment avec le Réseau de l’initiative africaine de l’éducation à la paix lancé par le Centre Panafricain pour la Prospective Sociale (CPPS) de l’institut Albert Tévoédjrè. Nous allons organiser en Centrafrique des classes de paix. Nous voulons que les élèves soient la pépinière de la paix demain en Centrafrique et en Afrique.